Sur l’aspect « critique » de l’observatoire en formation des adultes


Associé à la recherche, le terme critique a un double usage qui se situe bien au-delà du sens commun « critiquer quelque chose » pour révéler un défaut.

Premièrement, il est employé pour qualifier la nature de réflexion scientifique. A ce titre, une « réflexion critique » correspond à un examen raisonné qui s’attache, notamment, à démêler le vrai du faux. C’est dans ce sens que le terme « réflexion critique » est mis en avant récemment pour justifier le parti pris des écrits collectifs dirigés par Didier Fassin (2022) : « La société qui vient ». Pour quarante-huit contributeurs de l’ouvrage (où l’on trouve des noms tels que Foessel, Lallement, Honnet, Méda, Lahire… ), il s’agit de soumettre un sujet « à un examen critique permettant d’en déployer les différentes dimensions, d’en questionner les lieux communs, d’en ouvrir des potentialités inattendues » (Fassin, 2022, p. 21).
Il en découle que la réflexion critique est forcément multi approches et multi niveaux.

Deuxièmement, le sens critique est associé à la « théorie critique » développée comme une approche de philosophie sociale par les penseurs de l’école de Francfort. Dans cette acception, il s’agit d’une manière d’envisager la recherche qui consiste à analyser la société afin de révéler et mettre en question les structures de pouvoir et cela au service de l’émancipation des masses (Durand-Gasselin, 2012). Ce qui distingue l’approche critique de l’approche traditionnelle de la recherche, c’est sa visée assumée de suppression de l’injustice sociale, comme le souligne l’un des fondateurs de ce courant de pensée, Marx Horkheimer :

« La théorie critique, malgré la perspicacité de ses différentes étapes et la concordance de ses éléments avec les théories traditionnelles les plus avancées, n'a pas d'instance spécifique en soi, si ce n'est l'intérêt, lié à sa propre nature, de la suppression de l'injustice sociale ». (Horkheimer, 1937 p. 54, traduction personnelle).

Cette idée d’origine, de dénonciation de forme de domination à l’œuvre, se retrouve encore aujourd’hui comme un marqueur déterminant des approches critiques. Par exemple, dans l’ouvrage collectif sur le numérique en éducation et formation, Denouël et Fluckiger (2022) la définissent comme, avant tout, une posture et démarche de recherche caractérisées par trois traits :

[…] il s’agit de se tenir à distance des discours marchands portés par les industries éducatives.
[…] il s’agit de résister à la demande institutionnelle, adressée à la recherche, de se cantonner à un rôle d’expertise quand ce n’est de relais des projets politiques. […]
[mais surtout] d’accepter que les résultats de la recherche scientifique permettent de mettre au jour dominations et inégalités dans une visée de transformation sociale et, ainsi, d’aider à augmenter le pouvoir d’agir des praticiens en leur donnant des éléments d’intelligibilité et de conceptualisation en rupture avec le sens commun.(Denouël et Fluckiger, 2022, pp 64-65)


S’il est clair qu’une approche critique implique de multiples manières de la mettre en œuvre, tant les fondements axiologiques, épistémologiques et méthodologique des chercheurs sont diversifiés, demeure entière la nécessité d’expliciter ses ancrages et ses visées de recherche (objectifs et champs d’application). L’effet attendu par cette clarification est l’évitement de confusion avec une recherche plus classique surtout quand celle-ci elle se reconnaît d’une réflexion critique.
Quant à l’observatoire des transformations en formation des adultes, il convient non seulement d’affirmer plus clairement l’acception du terme « critique » en usage mais surtout d’éprouver cette approche dans nos travaux de recherche.

Références

Durand-Gasselin, J-M. (2012). L’École de Francfort. Gallimard
Fassin, D. (dir) (2022). La société qui vient. Seuil.
Denouël, J. et Fluckiger C. (2022). Recherche, expertise et usages. Dans S. Collin, J. Denouël, N. Guicho, E. Schneider (dirs.), Le numérique en éducation et formation (pp 59-84). Presses de Mines.

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